Émission co2 voiture électrique : le vrai bilan environnemental de la production à l’usage

Émission co2 voiture électrique : le vrai bilan environnemental de la production à l’usage

Voiture électrique, « zéro émission »… vraiment ? La question revient partout, des dîners de famille aux débats parlementaires. Entre les défenseurs convaincus et les sceptiques qui pointent du doigt la batterie « plus polluante qu’un diesel », il est parfois difficile de démêler ce qui relève du fait, de l’intuition ou de l’argument militant.

Dans cet article, on va reprendre les choses dans l’ordre : de la production à l’usage, en passant par le recyclage. Objectif : comprendre le vrai bilan carbone d’une voiture électrique, en particulier dans le contexte français, et savoir dans quels cas elle est réellement pertinente… ou moins.

De quoi parle-t-on exactement quand on parle d’« émissions de CO₂ » ?

Avant d’entrer dans les chiffres, il est utile de préciser le vocabulaire. Quand on évoque l’impact climatique d’un véhicule, on parle en réalité de ses émissions de gaz à effet de serre sur l’ensemble de son cycle de vie, souvent exprimées en grammes de CO₂ équivalent par kilomètre (gCO₂e/km).

On distingue généralement :

  • La phase de production : extraction des matières premières, fabrication de la batterie, assemblage du véhicule.
  • La phase d’usage : pour un thermique, c’est la combustion du carburant ; pour un électrique, c’est la production de l’électricité consommée.
  • La fin de vie : démantèlement, recyclage, valorisation des matériaux.

Un véhicule peut donc afficher « zéro émission à l’échappement » tout en ayant un impact significatif au moment de sa fabrication. C’est particulièrement vrai pour les voitures électriques, dont la batterie concentre une grande partie du bilan carbone initial.

Production : la batterie, principal « point noir » du véhicule électrique

C’est l’argument préféré des opposants à la voiture électrique : « Sa fabrication pollue plus qu’un diesel ». Ce n’est pas totalement faux… mais ce n’est qu’une partie de l’histoire.

Selon les travaux de l’ADEME (2022) et de plusieurs études internationales (notamment ICCT, 2021), la fabrication d’un véhicule électrique émet en moyenne 50 à 70 % de CO₂ de plus que celle d’un véhicule thermique. La principale responsable : la batterie lithium-ion.

Pourquoi la batterie pèse-t-elle si lourd dans le bilan carbone ?

  • Extraction et raffinage des métaux (lithium, nickel, cobalt, manganèse, graphite) sont très énergivores.
  • Usines de fabrication souvent situées dans des pays où l’électricité est encore fortement carbonée (charbon, gaz).
  • Poids de la batterie : plus l’autonomie demandée est élevée, plus la batterie est grosse, donc plus son impact initial augmente.

Les ordres de grandeur retenus aujourd’hui pour la production sont les suivants (valeurs moyennes, très dépendantes des modèles et des usines) :

  • Voiture thermique compacte : 5 à 6 tonnes de CO₂ émises à la fabrication.
  • Voiture électrique compacte avec batterie ~50 kWh : 8 à 10 tonnes de CO₂, dont environ la moitié pour la batterie seule.

Autrement dit, au moment où elles sortent d’usine, la voiture électrique « part avec un handicap ». La question cruciale devient donc : ce surcroît d’émissions initiales est-il compensé par la suite ? Et au bout de combien de kilomètres ?

Usage : l’avantage décisif de l’électricité (surtout en France)

C’est ici que la géographie change tout. Le bilan en phase d’usage dépend directement de la façon dont l’électricité est produite.

En France, le mix électrique reste majoritairement décarboné : autour de 90 % de la production provient du nucléaire et des renouvelables (hydraulique, éolien, solaire, biomasse), avec un recours limité au gaz et au charbon. Résultat :

  • 1 kWh d’électricité consommé en France émet en moyenne autour de 50 gCO₂e (valeur moyenne sur l’année, RTE).

Appliqué à une voiture électrique qui consomme environ 15 à 18 kWh/100 km, cela donne :

  • Entre 8 et 12 gCO₂e/km pour l’usage (hors fabrication), en conditions moyennes.

À titre de comparaison, une voiture thermique récente (essence ou diesel), même relativement sobre, se situe plutôt entre :

  • 150 et 200 gCO₂e/km en intégrant l’extraction, le raffinage, le transport du carburant et la combustion à l’échappement.

Cela signifie que sur chaque kilomètre parcouru, la voiture électrique émet 10 à 15 fois moins de CO₂ qu’une voiture thermique en France, pour la seule phase d’usage. C’est ce différentiel qui permet de « rembourser » l’empreinte carbone plus élevée de la batterie.

À partir de quand une voiture électrique devient-elle plus vertueuse ?

Les études convergent vers une même réponse : le surcroît d’émissions lié à la production de la batterie est compensé après quelques dizaines de milliers de kilomètres, dans un pays comme la France.

Les ordres de grandeur observés sont :

  • Entre 30 000 et 50 000 km pour qu’un véhicule électrique compact devienne plus sobre en CO₂ qu’un équivalent thermique de même catégorie, dans le contexte français.
  • Au-delà de 150 000 à 200 000 km, l’avantage cumulé de l’électrique devient très net, même avec une batterie de taille moyenne.

Dans un pays dont l’électricité est très carbonée (charbon, par exemple), le point de bascule est plus lointain, parfois au-delà de 100 000 km, voire plus. C’est pourquoi le débat ne peut pas être totalement déconnecté du contexte national ou régional.

En France, pour une voiture utilisée « normalement » (10 000 à 15 000 km/an), l’empreinte carbone de l’électrique devient donc meilleure au bout de 3 à 5 ans d’usage.

Quid de la recharge : domicile, bornes rapides, heures pleines / heures creuses

La façon de recharger joue aussi un rôle, même si elle ne bouleverse pas l’ordre de grandeur global.

  • Recharge à domicile, en heures creuses : l’électricité provient majoritairement du parc de base (nucléaire, renouvelables). Le contenu carbone moyen est alors proche, voire légèrement inférieur, à la moyenne annuelle.
  • Recharge sur bornes rapides (autoroutes, forte puissance) : l’impact carbone est légèrement supérieur si ces charges ont lieu lors de pics de demande, où l’on mobilise davantage de centrales fossiles. Toutefois, en France, l’effet reste limité par rapport à des pays très dépendants du gaz ou du charbon.
  • Recharge 100 % renouvelable (abonnement « vert » ou autoconsommation photovoltaïque) : juridiquement et comptablement, vous financez des renouvelables. Sur le plan physique, vous utilisez le mix du réseau, mais votre décision a un effet sur le développement de nouvelles capacités peu carbonées.

La marge de manœuvre reste donc réelle côté utilisateur : recharger plutôt la nuit, éviter les pics de consommation, optimiser l’usage de bornes rapides améliore légèrement le bilan, tout en soulageant le réseau.

Et les métaux rares, les mines, les impacts locaux ?

L’impact environnemental d’une voiture électrique ne se limite pas au CO₂. Il inclut aussi :

  • La pression sur certaines ressources (lithium, cobalt, nickel).
  • Les impacts locaux des mines : consommation d’eau, risques de pollution, conflits d’usage, conditions de travail.
  • Les enjeux géopolitiques autour des pays producteurs (Chili, République démocratique du Congo, Indonésie, Chine…).

Sur ce point, il faut être lucide : l’électrification massive du parc automobile n’est pas neutre. Elle déplace une partie des impacts : moins de carburants fossiles extraits et brûlés, plus de métaux à extraire et à raffiner. D’où l’importance de deux leviers :

  • La sobriété : réduire la taille et le nombre de véhicules plutôt que de remplacer « 1 pour 1 » toutes les voitures thermiques par des électriques, parfois plus lourdes encore.
  • Le recyclage : récupérer les métaux des batteries en fin de vie pour fabriquer les suivantes, afin de limiter la pression sur les mines.

En Europe, la réglementation évolue rapidement sur ces sujets.

Ce qui change côté réglementation : bonus, normes CO₂ et fin du thermique en 2035

Plusieurs textes structurants encadrent désormais le développement de la voiture électrique et son bilan environnemental :

  • Règlement européen sur les normes CO₂ des véhicules neufs : trajectoire de réduction progressive des émissions moyennes des constructeurs, jusqu’à un objectif de zéro émission à l’échappement pour les voitures neuves en 2035 (avec de rares exceptions).
  • Zones à faibles émissions (ZFE) en France : dans les grandes agglomérations, les véhicules les plus polluants sont progressivement restreints. Les voitures électriques (Crit’Air 0) bénéficient d’une meilleure acceptabilité réglementaire.
  • Bonus écologique « environnementalisé » : depuis 2024, le bonus n’est plus accordé seulement en fonction du type de motorisation, mais aussi en fonction du bilan environnemental global du véhicule (incluant le lieu et le mode de fabrication, le contenu carbone de l’électricité utilisée pour produire la batterie, etc.).
  • Règlement européen sur les batteries : introduction progressive d’un passeport numérique pour les batteries, d’exigences de contenu recyclé minimal et de standards plus stricts en matière de traçabilité et de performance environnementale.

En clair : l’Europe ne se contente plus de dire « passons à l’électrique », elle commence à encadrer aussi comment on le fait.

Recyclage des batteries : promesse ou réalité ?

On entend souvent dire que « les batteries ne sont pas recyclées » ou qu’elles finissent dans des décharges à ciel ouvert. La réalité est plus nuancée.

En Europe, les batteries de véhicules électriques sont soumises à des obligations de collecte et de recyclage. Plusieurs filières industrielles sont déjà opérationnelles, notamment en France (Veolia, Eramet, SNAM, etc.) et dans d’autres pays européens.

Aujourd’hui :

  • On sait déjà récupérer 50 à 70 % de la masse de la batterie (acier, aluminium, cuivre, certains métaux de la cathode).
  • Les technologies dites d’hydrométallurgie permettent de remonter jusqu’à des taux de récupération très élevés pour le cobalt, le nickel et le lithium, avec des progrès rapides.

Par ailleurs, avant même le recyclage, de nombreuses batteries passent par une deuxième vie : elles sont réutilisées pour le stockage stationnaire d’électricité (par exemple pour lisser la production photovoltaïque), lorsque leurs performances ne sont plus jugées suffisantes pour l’automobile.

Il faut cependant être honnête : le flux de batteries en fin de vie reste encore modeste, car la plupart des véhicules électriques sont récents. Le véritable test grandeur nature sur la capacité à recycler massivement arrivera dans la décennie 2030. D’où l’importance d’investir dès maintenant dans ces filières.

Alors, la voiture électrique est-elle « vraiment écologique » ?

Posée ainsi, la question appelle une réponse nuancée.

Sur le plan climatique, en France et plus largement en Europe, les données sont assez claires :

  • Oui, sur l’ensemble de son cycle de vie, une voiture électrique émet aujourd’hui nettement moins de CO₂ qu’une voiture thermique, à condition :
    • qu’elle soit utilisée suffisamment longtemps (au-delà de 50 000 km environ),
    • qu’on ne surdimensionne pas la batterie sans nécessité,
    • et que l’électricité utilisée soit majoritairement décarbonée (ce qui est le cas en France).

En revanche, la voiture électrique :

  • ne règle pas les problèmes de congestion (un embouteillage électrique reste un embouteillage) ;
  • n’annule pas les impacts liés à la construction d’infrastructures routières ;
  • n’efface pas les enjeux de sobriété : multiplier les SUV électriques de 2,5 tonnes n’est pas une stratégie soutenable, même avec des kWh « verts ».

Autrement dit, la voiture électrique est un levier important de décarbonation du secteur des transports, mais elle n’est ni une solution miracle, ni un blanc-seing pour continuer à organiser la mobilité uniquement autour de la voiture individuelle.

Que faire, concrètement, selon que l’on est particulier, collectivité ou entreprise ?

À ce stade, la question clé devient : comment utiliser intelligemment la voiture électrique dans une stratégie de transition écologique ?

Pour un particulier :

  • Interroger d’abord le besoin : ai-je réellement besoin d’une voiture ? Si oui, combien de kilomètres par an ? Quels types de trajets (quotidiens, longs trajets, usage ponctuel) ?
  • Choisir la bonne taille de véhicule : une petite voiture électrique pour les trajets du quotidien aura un bilan carbone bien meilleur qu’un gros SUV, thermique ou électrique.
  • Raisonner en coût total (achat, usage, entretien, carburant/électricité) sur plusieurs années, plutôt que seulement en prix d’achat.
  • Privilégier la recharge lente à domicile (si possible), en heures creuses, et réserver les recharges rapides aux longs trajets.
  • Envisager l’occasion : acheter une voiture électrique d’occasion, c’est prolonger la durée de vie d’un véhicule déjà produit, ce qui améliore son bilan global.

Pour une collectivité :

  • Articuler la voiture électrique avec d’autres solutions de mobilité : transports en commun, vélo, marche, autopartage.
  • Électrifier en priorité les usages captifs : flottes de services municipaux, collecte des déchets, véhicules d’entretien, transports scolaires.
  • Planifier le déploiement des bornes en fonction des besoins réels et des usages (résidentiel, pendulaires, grands axes), sans suréquipement inutile.
  • Accompagner les ménages modestes dans les ZFE via des aides ciblées et le développement d’alternatives (bus, RER, covoiturage, etc.).

Pour une entreprise :

  • Faire un audit de mobilité : quels sont les kilomètres les plus émetteurs ? Quels types de trajets se prêtent le mieux à l’électrification ?
  • Électrifier progressivement la flotte en commençant par les trajets réguliers, prévisibles et rechargés sur site.
  • Mettre en place une politique de mobilité globale : télétravail, vélo de fonction, indemnités mobilité durable, covoiturage interne.
  • Intégrer des critères environnementaux dans les appels d’offres pour les véhicules et les services (contenu carbone, réparabilité, durabilité, filière de recyclage des batteries).

Les points essentiels à retenir

Pour terminer, quelques repères simples à garder à l’esprit lorsque l’on parle de voiture électrique et de CO₂ :

  • Oui, la fabrication d’une voiture électrique émet plus de CO₂ qu’une thermique, surtout à cause de la batterie.
  • En France, cet « excès » d’émissions est compensé après 30 000 à 50 000 km environ, grâce à une électricité peu carbonée.
  • Sur l’ensemble de son cycle de vie, une voiture électrique utilisée normalement émet aujourd’hui nettement moins de CO₂ qu’une voiture essence ou diesel équivalente.
  • Le contexte électrique national est déterminant : dans un pays au mix très carboné, l’avantage de l’électrique est plus tardif, voire réduit, tant que ce mix ne se décarbone pas.
  • L’électrique ne dispense pas de sobriété : taille du véhicule, nombre de véhicules, organisation globale de la mobilité restent des leviers majeurs.
  • Les politiques publiques évoluent vite : bonus conditionné au bilan environnemental, normes CO₂, règlement sur les batteries, ZFE… avec un objectif clair de réduction des émissions à l’horizon 2030–2035.

La vraie question n’est donc plus vraiment de savoir si la voiture électrique émet moins de CO₂ qu’un thermique dans le contexte français – les données sont largement établies – mais plutôt comment intégrer cette technologie dans un ensemble plus large de solutions de mobilité, où l’on garde en tête que le kilomètre le moins émetteur reste celui que l’on ne parcourt pas… ou que l’on parcourt autrement.