Certification bilan carbone : de quoi parle-t-on exactement ?
On parle beaucoup de « faire son bilan carbone », mais plus rarement de le certifier. Pourtant, pour une entreprise, la nuance est importante. Entre un tableur maison et un bilan vérifié par un tiers indépendant, la crédibilité n’est pas la même, surtout face à des clients, des investisseurs ou des autorités de contrôle.
Avant d’entrer dans le détail de la certification, il faut clarifier trois notions souvent mélangées :
- Le bilan d’émissions de gaz à effet de serre (BEGES) : c’est la photographie des émissions de l’entreprise, sur une année donnée, selon une méthodologie reconnue (par exemple la méthode « Bilan Carbone® », le GHG Protocol ou la norme ISO 14064).
- Les obligations réglementaires : certaines entreprises ont l’obligation légale de réaliser et de publier un BEGES (en France, c’est encadré par le Code de l’environnement).
- La certification : c’est la validation, par un organisme tiers et indépendant, que le bilan a été réalisé selon des règles précises, avec des données traçables et des calculs conformes à un référentiel.
Autrement dit, toute entreprise peut « faire » un bilan carbone, mais seules celles qui passent par une démarche structurée, avec un contrôle externe, peuvent vraiment revendiquer un bilan fiable et opposable, appuyé sur une certification ou une vérification indépendante.
À quoi sert une certification de bilan carbone pour une entreprise ?
Certifier son bilan carbone n’est pas une obligation pour toutes les entreprises. C’est un choix stratégique. Voici à quoi il sert concrètement.
1. Gagner en crédibilité auprès des parties prenantes
Une chose est de communiquer « Nous réduisons nos émissions de 20 % d’ici 2030 ». Une autre est de pouvoir démontrer :
- comment les émissions ont été calculées ;
- sur quel périmètre (sites, filiales, produits) ;
- quels postes sont inclus (Scope 1, 2, 3) ;
- et qu’un organisme tiers a vérifié le tout.
Pour un donneur d’ordre, un investisseur ou une collectivité qui lance un appel d’offres, cette différence est majeure. La certification réduit le risque de greenwashing et apporte un élément de preuve.
2. Se préparer aux exigences réglementaires européennes
Les réglementations européennes évoluent rapidement, avec notamment :
- La CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), qui impose progressivement aux grandes entreprises un reporting extra-financier détaillé, incluant les émissions de gaz à effet de serre.
- Le règlement taxonomie, qui définit ce qu’est une activité économique « durable » au sens européen.
- Le futur standard européen ESRS sur le climat, qui va préciser les attentes en matière de transparence des données d’émissions.
Dans ce contexte, disposer d’un bilan carbone fiablement construit et auditable, voire déjà vérifié par un organisme externe, permet de se mettre en conformité plus rapidement et de limiter les corrections ultérieures.
3. Répondre aux appels d’offres et exigences clients
De plus en plus d’appels d’offres, publics comme privés, imposent :
- la réalisation d’un bilan GES ;
- parfois l’intégration du Scope 3 ;
- et, pour les marchés les plus structurés, une forme de vérification ou de certification.
Pour les PME sous-traitantes de grands groupes, cela devient un passage obligé : un bilan carbone certifié peut être un véritable avantage concurrentiel, voire un prérequis pour rester dans la chaîne de valeur.
4. Sécuriser sa trajectoire de décarbonation
Impossible de suivre sérieusement une trajectoire de réduction des émissions sans :
- un point de départ fiable ;
- des données comparables d’une année à l’autre ;
- une méthode stable et transparente.
La certification aide à :
- structurer la démarche (procédures, traçabilité des données) ;
- éviter les erreurs de calcul ;
- garantir que les progrès observés viennent bien de réductions réelles, et non de changements de périmètre ou d’hypothèses.
5. Accéder plus facilement à certains financements
Banques, fonds à impact, investisseurs : beaucoup conditionnent désormais leurs décisions à la qualité des données environnementales fournies par les entreprises. Un bilan carbone certifié ou vérifié peut :
- renforcer le dossier de financement ;
- faciliter l’accès à certains prêts verts ou obligations durables ;
- montrer que l’entreprise gère activement ses risques climatiques.
Qui délivre la certification du bilan carbone ?
Il n’existe pas, à ce jour, une unique « certification bilan carbone » officielle qui serait délivrée par un seul organisme en France. En pratique, on distingue plusieurs niveaux de reconnaissance.
Les normes de référence
La plupart des certifications ou vérifications s’appuient sur des référentiels internationaux, par exemple :
- ISO 14064 (parties 1 et 3) : norme internationale qui définit la manière de quantifier, rapporter et vérifier les émissions de GES d’une organisation.
- GHG Protocol : cadre méthodologique largement utilisé dans le monde, structuré autour des Scopes 1, 2 et 3.
- Méthode Bilan Carbone® : développée à l’origine par l’ADEME, aujourd’hui portée par l’Association Bilan Carbone (ABC), très utilisée en France.
Ces normes ne « certifient » pas directement votre entreprise, mais elles servent de socle aux organismes qui vont vérifier et attester votre bilan.
Les organismes de vérification et de certification
Concrètement, la certification ou vérification d’un bilan carbone est réalisée par :
- Des organismes accrédités par le COFRAC (Comité français d’accréditation) pour la vérification des émissions de GES, souvent dans le cadre de la norme ISO 14064 ou d’autres schémas (par exemple pour le Système d’échange de quotas d’émission de l’UE).
- Des cabinets de conseil spécialisés, pouvant proposer :
- des prestations de réalisation du bilan ;
- des audits internes ou « revues critiques » ;
- et parfois des labels internes ou des rapports d’assurance modérée sur les données.
- Des organismes de labellisation, qui ne certifient pas seulement le bilan, mais la démarche climat globale de l’entreprise (par exemple certains labels RSE ou climat, qui intègrent le volet GES).
Le point clé : pour qu’une certification soit reconnue, il faut vérifier que :
- l’organisme est indépendant de celui qui a réalisé le bilan ;
- il est accrédité sur le bon champ (vérification de GES, ISO 14064, etc.) ;
- le rapport de vérification est documenté et mobilisable en cas de contrôle ou de demande d’un tiers.
Le rôle de l’ADEME et de l’ABC
L’ADEME (Agence de la transition écologique) ne « certifie » pas directement les bilans carbone des entreprises. En revanche, elle :
- publie des référentiels et guides méthodologiques ;
- valide des bases de facteurs d’émissions ;
- et peut conditionner certaines aides ou appels à projets à la réalisation d’un BEGES conforme.
L’Association Bilan Carbone (ABC), de son côté, :
- porte la méthode Bilan Carbone® ;
- forme des professionnels (chargés de mission, bureaux d’études) ;
- propose des outils et cadres pour structurer les démarches.
Ces deux acteurs garantissent la robustesse des méthodes, mais ils ne sont pas, à proprement parler, des « certificateurs » d’entreprise.
Ce que dit la réglementation en France
La réglementation française ne parle pas directement de « certification » du bilan carbone, mais elle encadre fortement le Bilan d’Émissions de Gaz à Effet de Serre (BEGES) pour certains acteurs.
Qui est concerné par l’obligation de BEGES ?
Actuellement, doivent réaliser et publier un BEGES réglementaire :
- Les personnes morales de droit privé de plus de 500 salariés en France métropolitaine (250 salariés dans les DROM) ;
- Les personnes morales de droit public de plus de 250 agents ;
- Les collectivités territoriales de plus de 50 000 habitants.
Le BEGES doit être mis à jour tous les 4 ans pour les entreprises privées, tous les 3 ans pour le secteur public. Il doit respecter un certain nombre d’exigences (périmètre, publication, plan d’actions).
Ce qui est (encore) facultatif mais fortement encouragé
La loi n’exige pas, à ce stade, que le BEGES réglementaire soit certifié par un tiers pour toutes les entreprises. Néanmoins :
- les grands groupes soumis à la CSRD devront faire vérifier leur reporting extra-financier, y compris les données de GES, par un auditeur externe ;
- certaines autorités de contrôle ou donneurs d’ordres peuvent exiger une vérification indépendante ;
- les entreprises exposées à des risques climatiques importants (industrie lourde, transport, énergie…) ont intérêt à sécuriser leurs données via des audits tiers.
On se dirige donc progressivement vers un paysage où les bilans carbone importants seront de plus en plus souvent vérifiés, sinon certifiés.
Comment obtenir une certification de bilan carbone pour son entreprise ?
Entrons dans le concret : comment une entreprise peut-elle s’y prendre, étape par étape ?
1. Définir le périmètre et l’ambition de la démarche
Avant même de parler certification, il faut répondre à quelques questions simples :
- Souhaitez-vous un bilan réglementaire, un bilan volontaire, ou les deux ?
- Sur quel périmètre d’organisation : siège seulement, ensemble des filiales, périmètre France, périmètre monde… ?
- Incluez-vous le Scope 3 (émissions indirectes de la chaîne de valeur) ? Si oui, quels postes en priorité (achats, déplacements, transport de marchandises, usage des produits vendus, fin de vie…) ?
- À qui est destiné le bilan : reporting interne, réponse à un client, support de communication, préparation à la CSRD… ?
Cette clarification conditionne le choix :
- de la méthode (Bilan Carbone®, GHG Protocol, ISO 14064) ;
- de l’outil (tableur, logiciel spécialisé) ;
- et du type de certification ou de vérification visé.
2. Choisir une méthode reconnue
Une certification n’a de sens que si le bilan repose sur un cadre méthodologique robuste. En France, deux grands cadres dominent :
- La méthode Bilan Carbone® : très détaillée, adaptée à une approche globale (y compris Scope 3), largement utilisée par les collectivités et les entreprises de toutes tailles.
- Le GHG Protocol : référence internationale, souvent privilégiée par les groupes ayant des filiales à l’étranger.
Vous pouvez ensuite aligner votre démarche sur la norme ISO 14064 si vous visez une vérification officielle dans ce cadre.
3. Collecter les données et documenter les sources
C’est la phase la plus chronophage, mais aussi celle qui fera la différence au moment de la certification. L’objectif : pouvoir répondre, pour chaque poste d’émissions, à ces questions simples :
- Quelle donnée d’activité avez-vous utilisée (kWh, litres de carburant, tonnes de matières, km parcourus…) ?
- De quelle année ? Sur quel périmètre ?
- D’où vient-elle (facture, relevé, ERP, estimation basée sur un ratio…) ?
- Quel facteur d’émission avez-vous appliqué, et avec quelle source ?
Un organisme certificateur ou un vérificateur cherchera surtout à évaluer :
- la fiabilité des données d’entrée ;
- la cohérence du périmètre ;
- la traçabilité des hypothèses.
Autrement dit, un bilan avec quelques incertitudes bien documentées sera préféré à un bilan « parfait » mais opaque.
4. Choisir un organisme de vérification ou de certification
Cette étape peut être anticipée avant même la fin du bilan, pour s’assurer que la démarche est compatible avec les attentes de l’organisme. Quelques critères de sélection :
- Type de reconnaissance recherchée :
- certification ISO 14064 ;
- vérification indépendante du BEGES ;
- label RSE intégrant le climat ;
- attestation pour un client ou un investisseur spécifique.
- Expérience sectorielle : un organisme qui connaît votre métier comprendra mieux vos postes d’émissions (industrie, BTP, transport, services, numérique…).
- Accréditations : vérifiez les champs couverts, notamment auprès du COFRAC pour la France.
- Capacité d’accompagnement pédagogique : certains acteurs adoptent une posture très « audit pur », d’autres proposent un retour d’expérience plus détaillé.
5. Passer l’audit et mettre en œuvre les recommandations
La vérification ou certification se déroule généralement en plusieurs temps :
- Revue documentaire : études, bases de données, fichiers de calcul, rapports internes.
- Entretiens avec les personnes clés : énergie, achats, transport, RSE, finance.
- Tests de cohérence et de recalcul sur certains postes significatifs.
- Rapport d’audit avec :
- niveau d’assurance (modérée, raisonnable) ;
- liste des écarts ou points d’amélioration ;
- avis sur la conformité du bilan au référentiel choisi.
En fonction des résultats, vous pourrez :
- obtenir immédiatement la certification ou l’attestation ;
- ou devoir corriger certains points (données manquantes, erreurs de périmètre, documentation insuffisante) avant validation.
6. Mettre à jour régulièrement le bilan et la certification
Un bilan carbone n’est pas un document figé. Pour rester crédible :
- réalisez un bilan complet tous les 3 à 4 ans, ou plus fréquemment si votre activité évolue vite ;
- mettez à jour chaque année les postes les plus significatifs, surtout si vous avez des objectifs de réduction ;
- renouvelez la vérification ou la certification à un rythme cohérent (par exemple tous les 2 ou 3 bilans).
Quel budget prévoir, et pour quels types d’entreprises ?
Le coût d’un bilan carbone certifié dépend de plusieurs facteurs :
- taille et complexité de l’entreprise (sites, pays, métiers) ;
- périmètre des émissions (Scopes 1, 2 et 3) ;
- niveau de détail voulu ;
- type de certification ou de vérification.
À titre indicatif (ordres de grandeur, à adapter) :
- Pour une PME de services avec un périmètre France et peu de sites, un bilan carbone + vérification simplifiée peut se situer entre quelques milliers et quelques dizaines de milliers d’euros, selon le niveau de détail.
- Pour un groupe industriel international, avec Scope 3 complet, l’enveloppe peut grimper beaucoup plus haut, avec un véritable projet pluriannuel.
Il est souvent pertinent, pour une petite ou moyenne structure, de commencer par :
- un bilan robuste mais non certifié,
- puis une vérification ciblée sur les postes majeurs,
- avant, éventuellement, d’aller vers une certification complète si le besoin se confirme (demande client, obligations réglementaires, financement, etc.).
Les points clés à retenir pour votre entreprise
- La certification ne se substitue pas au bilan carbone : elle vient en complément, pour en garantir la qualité et la crédibilité.
- Il n’existe pas une seule « certification bilan carbone » officielle, mais plusieurs formes de vérification et de labellisation, souvent appuyées sur des référentiels comme ISO 14064, le GHG Protocol ou la méthode Bilan Carbone®.
- En France, certaines entreprises ont l’obligation de réaliser un BEGES réglementaire, mais pas nécessairement de le faire certifier. Toutefois, la pression réglementaire (CSRD, taxonomie) va renforcer les attentes en matière de données vérifiées.
- Un bilan carbone certifié est un atout compétitif : appels d’offres, crédibilité vis-à-vis des clients, accès à certains financements, préparation aux futures obligations de reporting.
- La réussite d’une certification repose sur :
- un périmètre clairement défini ;
- une méthode reconnue ;
- une collecte de données rigoureuse et documentée ;
- le choix d’un organisme tiers compétent et indépendant.
- Commencer par un bilan solide, puis monter progressivement en exigence (audit, vérification, certification) est souvent la voie la plus réaliste, en particulier pour les PME.
En résumé, la certification de votre bilan carbone n’est pas une fin en soi, mais un outil : elle sert à ancrer votre stratégie climat dans des chiffres fiables, vérifiables et partageables. Autrement dit, à transformer une bonne intention en trajectoire crédible, tant pour vos équipes que pour celles et ceux qui vous font confiance.