En France, la mobilité hydrogène sort peu à peu du stade expérimental. Mais un frein demeure majeur : où faire le plein, concrètement, quand on roule à l’hydrogène ? Et, surtout, à quoi ressemblera le réseau en 2030 : peut-on raisonnablement miser sur cette solution si l’on achète un véhicule ou si l’on équipe une flotte ?
Dans cet article, on fait le point, cartes & chiffres à l’appui, sur l’état du réseau de stations hydrogène en France aujourd’hui, les ouvertures annoncées, et les grandes lignes du maillage prévu à l’horizon 2030.
Pourquoi la question des stations hydrogène devient centrale
L’hydrogène pour la mobilité se situe à la croisée de plusieurs objectifs publics :
- réduire les émissions de CO₂ du transport routier (dont les poids lourds) ;
- diminuer la dépendance au pétrole importé ;
- valoriser un hydrogène de plus en plus produit à partir d’électricité renouvelable ou décarbonée.
Sur le papier, un véhicule à pile à combustible cumule plusieurs avantages : zéro émission à l’échappement, autonomie élevée (500 à 700 km pour une voiture, davantage pour un autocar ou un camion), et un plein en quelques minutes. Mais sans stations, ces atouts restent… théoriques.
C’est exactement le même problème qu’aux débuts de la voiture électrique : tant qu’il n’y a pas de réseau de recharge, les usages restent confinés à des « niches ». D’où l’importance d’une question très concrète : aujourd’hui, où peut-on vraiment faire le plein d’hydrogène en France, et qu’est-il prévu d’ici 2030 pour sortir de cette phase de niche ?
Combien de stations hydrogène en France aujourd’hui ?
Les chiffres évoluent rapidement, mais les ordres de grandeur sont clairs. Selon les baromètres de France Hydrogène, des données ouvertes de l’ADEME et les plateformes européennes de suivi :
- on compte aujourd’hui en France quelques dizaines de stations hydrogène en service, dont une partie seulement est ouverte au grand public ;
- une centaine de stations supplémentaires sont en projet ou en construction (autorisations obtenues, marchés attribués, travaux en cours), pour une mise en service échelonnée d’ici 2027 ;
- à horizon 2030, différents scénarios évoquent plusieurs centaines de stations sur le territoire, de l’ordre de 400 à 1 000 selon les hypothèses (déploiement minimal réglementaire vs. déploiement ambitieux pour les poids lourds).
Autrement dit, nous ne sommes plus au stade des 3 ou 4 stations pionnières d’il y a cinq ans, mais nous sommes encore loin d’un maillage « rassurant » pour un conducteur particulier qui voudrait traverser la France à l’hydrogène.
Deux précisions importantes pour bien lire ces chiffres :
- 350 bar vs 700 bar : la plupart des camions et bus hydrogène utilisent des remplissages à 350 bar, tandis que les véhicules particuliers (taxis, utilitaires légers, voitures) sont généralement à 700 bar. Une station peut proposer l’un ou l’autre, ou les deux. Toutes les stations hydrogène ne sont donc pas équivalentes selon le type de véhicule.
- stations publiques vs « captives » : de nombreuses stations actuelles sont destinées à des flottes spécifiques (bus d’une agglomération, camions d’un transporteur, taxis d’une métropole). Elles peuvent être semi-publiques (accès possible sous conditions) ou totalement privées. Seules une partie sont réellement accessibles au grand public, avec une carte ou un badge et des horaires d’ouverture larges.
Pour un particulier, comme pour une PME ou une collectivité qui démarre, ce sont donc les stations publiques ou ouvertes aux tiers qui comptent réellement. C’est sur celles-ci que l’on va se concentrer pour répondre à la question : où faire le plein, ici et maintenant ?
Où peut-on faire le plein d’hydrogène aujourd’hui en France ?
Si l’on regarde la carte des stations actuellement en service, on constate que le réseau est très loin d’être homogène. Quelques régions ont pris une nette avance, souvent grâce à des projets territoriaux soutenus par l’ADEME et les Régions.
Sans prétendre à l’exhaustivité (les ouvertures se font au fil des mois), les zones suivantes ressortent clairement :
- Île-de-France : c’est la région la mieux équipée pour les particuliers et les taxis. On y trouve plusieurs stations accessibles aux flottes de taxis hydrogène (projets Hype / HysetCo notamment) et des points de remplissage à proximité des grands axes. Pour l’instant, le réseau reste principalement centré sur la métropole et ses besoins de mobilité professionnelle (taxis, VTC, utilitaires).
- Auvergne-Rhône-Alpes : région pionnière avec le projet Zero Emission Valley. Des stations se déploient autour de Lyon, Grenoble, Chambéry, Clermont-Ferrand, avec une orientation initiale vers les flottes (entreprises, collectivités, logistique urbaine), mais avec une volonté affichée d’ouvrir à un plus large public au fil du temps.
- Occitanie : la région a investi tôt dans l’hydrogène, avec le projet HyPort autour des aéroports de Toulouse et Tarbes, et des stations destinées aux bus et autocars. Une partie de ces infrastructures commence à s’ouvrir à d’autres usagers, en particulier sur des zones logistiques.
- Normandie et Hauts-de-France : deux régions à forte activité industrielle et logistique, très concernées par la décarbonation des camions. On y voit apparaître des stations sur ou près des grands corridors de fret (A13, A1, zones portuaires, plateformes logistiques).
- Grand Est, Bourgogne-Franche-Comté, PACA : ces régions hébergent plusieurs projets d’écosystèmes hydrogène (bus, bennes à ordures, camions, trains régionaux hydrogène), avec des stations qui peuvent à terme être mutualisées avec d’autres usages (logistique, taxis, entreprises locales).
En revanche, d’autres territoires restent pour l’instant peu ou pas couverts, en dehors de quelques projets isolés : une partie du Centre-Val de Loire, de la Nouvelle-Aquitaine ou des zones rurales éloignées des grands axes.
Autre point clé : la couverture autoroutière. Quelques stations existent déjà à proximité directe d’autoroutes ou de grands axes européens, mais le maillage reste encore discontinu. Si vous imaginez, par exemple, un trajet Paris–Marseille ou Lille–Lyon en véhicule hydrogène, vous devrez planifier très précisément vos arrêts, et vérifier à l’avance la disponibilité réelle des stations.
Comment trouver une carte de stations hydrogène fiable et à jour ?
Plutôt que de lister ici des adresses qui risqueraient d’être obsolètes dans quelques mois, il est plus utile de savoir où trouver une carte mise à jour en continu. Quelques ressources à connaître :
- Les plateformes européennes spécialisées : des sites comme H2stations.org ou H2.live recensent les stations hydrogène en Europe, avec filtres par pays, par pression (350/700 bar) et parfois l’état de fonctionnement en temps réel. C’est une bonne base pour préparer un trajet longue distance.
- Les cartes des associations et clusters : France Hydrogène publie régulièrement un baromètre et des cartes des écosystèmes hydrogène et des stations. Certaines régions (Auvergne-Rhône-Alpes, Occitanie, Grand Est, etc.) tiennent également à jour des cartes de leurs projets sur leurs portails institutionnels.
- Les outils des constructeurs : certains fabricants de véhicules hydrogène proposent, via leurs sites ou leurs applications embarquées, une carte intégrée des stations compatibles (avec éventuellement des informations de disponibilité et de tarification).
- Les opérateurs de mobilité hydrogène : les opérateurs qui déploient et exploitent des stations (HysetCo, Hype, Hyliko, Engie, TotalEnergies, Air Liquide, etc.) mettent souvent en ligne la liste de leurs stations, avec le type d’accès (public, flottes, sur contrat), la pression disponible, et le type de véhicules visés.
Dans tous les cas, si vous prévoyez un trajet, la règle reste la même que pour un long voyage en véhicule électrique : ne pas se contenter d’une « épingle » sur la carte. Vérifiez :
- les horaires d’ouverture ;
- les modalités d’accès (badge, inscription préalable, paiement) ;
- la compatibilité de la pression (350 ou 700 bar) avec votre véhicule ;
- et, si possible, l’état de fonctionnement (maintenance, rupture d’approvisionnement, etc.).
Pour l’instant, la mobilité hydrogène reste un usage de « pionniers » : cela suppose un minimum d’anticipation.
Ce qui est prévu d’ici 2030 : objectifs et contraintes réglementaires
Pour comprendre à quoi ressemblera le réseau de stations hydrogène en 2030, il faut regarder deux niveaux : le cadre européen et la stratégie française.
Au niveau européen, le règlement AFIR (Alternative Fuels Infrastructure Regulation), entré en vigueur en 2023, impose aux États membres un déploiement minimal d’infrastructures pour carburants alternatifs, dont l’hydrogène. Parmi les exigences clés :
- à l’horizon 2030, les principaux axes du réseau RTE-T central devront être équipés de stations hydrogène pour la route tous les 200 km maximum ;
- ces stations devront offrir une pression de 700 bar (adaptée aux véhicules routiers, y compris poids lourds) ;
- elles devront disposer d’une capacité de distribution minimale (en général de l’ordre de 1 tonne d’H₂ par jour, avec une puissance de remplissage suffisante).
Cela signifie qu’en théorie, d’ici 2030, un camion ou un autocar hydrogène devra pouvoir circuler sur les grands axes européens avec des points de remplissage réguliers. C’est un changement d’échelle par rapport aux stations dispersées actuelles.
Côté français, la Stratégie nationale pour le développement de l’hydrogène décarboné, renforcée dans le cadre de « France 2030 », prévoit plusieurs volets :
- un soutien massif à la production d’hydrogène décarboné (électrolyseurs, industrialisation) ;
- un appui aux écosystèmes territoriaux hydrogène pour la mobilité (appels à projets ADEME, subventions à l’investissement pour les stations et les flottes) ;
- une attention particulière aux usages lourds : camions, autocars, bus, bennes à ordures, trains régionaux, engins portuaires, etc.
Résultat logique : le réseau de stations qui se dessine d’ici 2030 sera d’abord conçu pour les besoins de ces mobilités lourdes, puis éventuellement ouvert aux voitures et véhicules utilitaires légers. Si vous êtes un particulier qui envisage une voiture hydrogène pour ses trajets quotidiens, il faut avoir en tête que vous « profiterez » d’infrastructures pensées au départ pour les bus, camions, taxis et flottes.
Quel calendrier d’ouverture des stations jusqu’en 2030 ?
On ne dispose pas d’un calendrier unique qui regrouperait tous les projets, mais plusieurs signaux convergent sur un rythme d’ouverture par étapes.
On peut schématiser en trois grandes phases :
1. 2024 – 2026 : densification des premiers pôles
- renforcement des régions déjà engagées (Île-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes, Occitanie, Grand Est, Normandie…) avec de nouvelles stations ou l’extension de capacités existantes ;
- mise en service progressive de stations autoroutières ou proches d’axes majeurs, souvent à destination des poids lourds ;
- ouverture de nouveaux écosystèmes territoriaux autour de projets financés par l’ADEME (bus, bennes, camions de livraison, flottes d’entreprises).
Durant cette phase, le réseau restera encore fragmenté, mais certaines liaisons deviennent praticables pour des usages réguliers (par exemple : liaisons entre deux métropoles équipées, trajets régionaux de camions ou bus scolaires).
2. 2027 – 2030 : structuration du maillage national et européen
- déploiement plus systématique de stations le long des corridors RTE-T, sous l’impulsion du règlement AFIR et des financements européens (Mécanisme pour l’interconnexion en Europe, programmes pour les transports propres) ;
- montée en puissance des capacités (stations « multi-mégawatt » capables d’alimenter des flottes importantes de poids lourds) ;
- développement de stations « hub » associant plusieurs usages : camions, bus, logistique urbaine, taxis, voire trains ou bateaux sur certains sites industriels ou portuaires.
À ce stade, si les plans actuels se concrétisent, un transporteur de marchandises devrait pouvoir envisager des liaisons nationales hydrogène avec une planification raisonnable, sans dépendre uniquement de stations privées.
3. Au-delà de 2030 : montée en échelle et diffusion vers de nouveaux territoires
- extension du réseau vers des zones aujourd’hui peu couvertes (territoires ruraux, axes transversaux) ;
- éventuelle ouverture plus large aux véhicules particuliers si la demande est au rendez-vous et si les modèles de voitures hydrogène se multiplient ;
- cohabitation avec d’autres carburants alternatifs (électrique batterie, bioGNV, carburants liquides bas carbone), avec des stations multimodales.
Gardons cependant un élément en tête : ces trajectoires dépendent fortement de la conjoncture énergétique, des coûts de production de l’hydrogène décarboné, et du rythme de déploiement réel des flottes lourdes. Les scénarios 2030 sont des cibles, pas des certitudes.
Qu’est-ce que ça change pour vous, concrètement ?
Selon votre profil, la lecture de cette carte de France des stations hydrogène ne se fera pas de la même façon.
Vous êtes un particulier
- À court terme (2024–2026), l’achat d’une voiture hydrogène reste un pari réservé à des profils très spécifiques : par exemple, un gros rouleur en région bien équipée (Île-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes), capable d’accéder à des stations professionnelles.
- La plupart des particuliers auront, dans la décennie, davantage de solutions du côté du véhicule électrique à batterie ou d’hybrides rechargeables, car le réseau de bornes est déjà beaucoup plus dense.
Vous gérez une flotte d’entreprise (utilitaires, taxis, VTC, logistique urbaine)
- Si vous êtes implanté dans une région pionnière, l’hydrogène peut devenir une option crédible, à condition d’adosser votre projet à une station territoriale existante ou en projet. Les programmes d’aides (ADEME, Régions) peuvent significativement réduire le surcoût initial des véhicules et des contrats d’approvisionnement.
- Le bon réflexe : se rapprocher des clusters régionaux hydrogène et de France Hydrogène pour identifier les stations existantes, les projets à venir, et les partenariats possibles (mutualisation de flottes, engagement de volumes, etc.).
Vous êtes une collectivité locale
- L’hydrogène peut être pertinent pour des usages ciblés : bus urbains et interurbains, bennes à ordures ménagères, véhicules techniques, voire trains régionaux sur lignes non électrifiées.
- L’enjeu principal est de concevoir un véritable écosystème territorial : une station ne doit pas alimenter un seul type de véhicule, mais idéalement plusieurs flottes distinctes (bus, camions, taxis, logistique) pour mutualiser les coûts et sécuriser la demande.
- Les appels à projets nationaux et régionaux ciblent précisément ce type de solutions multi-usages.
Vous êtes un transporteur routier ou un logisticien
- À horizon 2030, l’hydrogène fait partie du bouquet de solutions envisageables pour décarboner vos flux, surtout sur les grandes distances où les batteries montrent leurs limites (poids, autonomie, temps de charge).
- Les décisions d’investissement en camions hydrogène devront être prises en lien étroit avec les opérateurs de stations : l’assurance d’un réseau stable et de prix de l’hydrogène compatibles avec vos marges sera décisive.
- Les corridors RTE-T et les projets soutenus par l’Union européenne offriront des axes prioritaires pour expérimenter puis généraliser ces solutions.
Les points clés à retenir sur la carte des stations hydrogène en France
- La France compte aujourd’hui quelques dizaines de stations hydrogène en service, dont une partie seulement est ouverte au grand public. Le réseau progresse, mais reste très loin de la densité des bornes électriques.
- Les stations se concentrent dans quelques régions pionnières (Île-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes, Occitanie, Normandie, Grand Est, etc.) et autour de projets territoriaux (bus, camions, taxis, logistique).
- Pour localiser précisément les stations accessibles, mieux vaut utiliser des cartes en ligne à jour (plateformes européennes, sites de France Hydrogène et des Régions, outils des opérateurs), en vérifiant les conditions d’accès et la pression (350/700 bar).
- Le règlement européen AFIR impose un maillage minimal d’ici 2030 : des stations hydrogène tous les 200 km environ sur les grands axes du réseau RTE-T, avec une pression de 700 bar et des capacités adaptées aux poids lourds.
- La stratégie française donne la priorité aux mobilités lourdes (camions, bus, autocars, trains régionaux, engins portuaires) et aux écosystèmes territoriaux : la voiture hydrogène reste, pour l’instant, un usage de niche.
- À horizon 2030, on peut raisonnablement s’attendre à un réseau de plusieurs centaines de stations, mais la répartition sera très liée aux flux logistiques, aux zones industrielles et aux grandes métropoles, plus qu’à un maillage « omniprésent » comme pour le carburant fossile.
- Pour les particuliers, l’hydrogène restera sans doute une option très minoritaire sur cette décennie. Pour les flottes professionnelles et les collectivités, en revanche, la fenêtre de décision s’ouvre dès maintenant, à condition de s’appuyer sur les projets de stations en cours et les dispositifs de soutien publics.
En résumé, la carte des stations hydrogène en France se dessine aujourd’hui à partir de quelques pôles régionaux et des grands corridors européens. Elle ne ressemble pas encore à celle d’un réseau routier « tout hydrogène », mais elle trace déjà les lignes de force de la mobilité lourde décarbonée de demain. La question, pour chaque territoire et chaque acteur, n’est plus tant « faut-il de l’hydrogène ? » que « où, pour quels usages, et avec quelles stations ? ».
